Ce qui est plaisant avec une œuvre abstraite, c’est que l’on peut s’absorber gratuitement dans sa contemplation, s’abandonner à l’image, laisser les formes et les couleurs qui s’offrent à notre vue nous interpeler, nous émouvoir, parfois nous inspirer, sans se mettre en devoir – comme souvent pour l’art figuratif – de l’identifier et de la décrypter en faisant appel à nos capacités d’observation et d’analyse, à notre intuition ou à nos connaissances.
En face d’une œuvre abstraite, l’on se retrouve comme nu devant un miroir. Pour peu que celle-ci nous plaise et que l’on s’attarde devant elle, elle se met à nous parler, d’abord de nous-mêmes. Ses formes et ses couleurs convoquent dans les méandres de notre esprit et dans le labyrinthe de notre cœur, pensées secrètes, émotions inavouées, souvenirs enfouis, rêveries douces ou espoirs fous.
Les courbes et traits calligraphiques, les carrés et les cercles de Toko Shinoda, tracés d’un pinceau ou d’une brosse vigoureux en noir, rouge, gris, argent ou or sur toile ou sur papier washi possèdent cet étonnant pouvoir de nous parler de nous. Promenez-vous devant ses œuvres et amusez-vous à les re-titrer, vous sortirez de l’expérience abasourdi, étourdi, rincé mais aussi sans doute régénéré !
Au-delà, l’œuvre de Toko Shinoda nous parle du Japon, de sa calligraphie et du sumi-e (peinture à l’encre), bien sûr, mais aussi de la poésie japonaise et de l’art subtil de l’ikebana, de la cérémonie du thé, du jardin sec, du zen. Sa maîtrise du trait, de l’équilibre vide-plein, la sobriété de ses couleurs, son style elliptique, nous montrent l’essence de ce Japon immémorial qui fascine tant l’Occident.
Nul n’étant prophète son pays, Toko Shinoda, décédée l’an dernier à l’âge vénérable de 107 ans, a peiné à se faire reconnaître au Japon. Née en 1913 à Dalian (Mandchourie), son père qui dirige une entreprise de tabac, est aussi amateur d’art et l’initie à la calligraphie dès l’âge de 6 ans. Très vite, la jeune calligraphe, que son père a surnommée Toko (桃红, rouge pêche), cherche à se libérer du carcan des traditions, laissant danser son pinceau sur le papier et s’associant à l’avant-garde japonaise naissante. Ses œuvres exposées pour la première fois à Tokyo en 1940 (galerie Kyukyugo) se verront qualifiées d’« herbes sans racines ».
En 1956 – elle a 43 ans – , elle s’envole pour New York et les deux années qu’elle y passera au contact de l’action painting et d’autres mouvements d’avant-garde autour de l’abstraction la confortent dans ses choix artistiques, lui ouvrant la voie du succès et la reconnaissance internationale. La rétrospective du Tokyo Opera City vient rendre hommage à 70 ans d’une carrière étonnamment riche, novatrice et exemplaire qui, gageons-le, continuera encore longtemps à nous émerveiller et à nous inspirer.
*Une exposition d’art abstrait, principalement japonais, vient compléter de manière intéressante la rétrospective de Toko Shinoda dans le même musée
https://www.operacity.jp/ag/exh249/
*Une autre exposition Toko Shinoda (Bridge Over Fleeting Dreams) se tiendra au musée Tomo du 18 juin au 22 août
https://www.musee-tomo.or.jp/exhibition
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