Le Petit Journal

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Artistes français et francophones d’Asie : Myrtille Tibayrenc, artiste peintre (Chiang Maï, Thaïlande)

* VOTRE PREMIER CONTACT AVEC L’ART ET CE QUI FAIT QUE VOUS ÊTES DEVENUE ARTISTE

J’ai grandi en Bolivie à La Paz. À cette époque ma mère faisait de la peinture sur soie, mon père était scientifique et faisait des recherches sur les insectes vecteurs de maladies infectieuses. J’étais une enfant très solitaire et je passais des heures à regarder les livres de la bibliothèque de mes parents. Les livres d’art de ma mère qui couvraient la renaissance jusqu’aux peintres modernes européens, les livres de biologie de mon père avec des dessins naturalistes de plantes et d’insectes mais aussi de personnes atteintes de maladies infectieuses me fascinaient.

Je dessine depuis que je sais tenir un crayon et je n’ai jamais arrêté.

Le folklore bolivien et les paysages merveilleux d’Amérique du Sud ont aussi sûrement joué un rôle dans mon éveil artistique.

* 3 ŒUVRES

1. Day Dream (2025), huile sur bois, 40x25cm

C’est un petit paysage iridescent et onirique. Une jeune femme nue est allongée dans une prairie avec une forêt en arrière-plan. Un grand corbeau noir se pose sur sa hanche, mais la jeune fille semble détachée et regarde le spectateur dans les yeux.

J’ai lu récemment un livre sur l’histoire des licornes au Moyen-Âge. Plusieurs représentations mettaient en scène une jeune fille vierge, seule dans une forêt, avec une petite licorne venant se faire caresser. C’était à l’époque, d’après la légende, un piège fatal pour capturer des licornes qui étaient irrésistiblement attirées par les jeunes filles vierges. D’autres représentations plus sombres mettent en scène la jeune fille qui tue la licorne une fois celle-ci à proximité.

Ces images d’une grande beauté et dotées d’une charge symbolique très forte m’ont émue et troublée. Avec ce tableau, j’ai voulu essayer, de reproduire ce que j’avais ressenti en voyant ces images du Moyen-Âge. J’ai d’abord peint la jeune fille dans la forêt, puis je cherchais un élément qui puisse venir perturber cette harmonie. C’est après avoir vu une nuée d’oiseaux noirs tournoyer autour de moi sur ma terrasse que j’ai ajouté cet oiseau noir. J’écoutais à ce moment un podcast sur la culture du viol, sujet remis sur la table avec force avec le mouvement me-too et le procès Pelicot. Ce petit tableau m’évoque le viol, et la sortie de corps éprouvée par les personnes qui subissent ce drame.

2. The Pond (2025), huile sur bois, 15x15cm

L’image est inspirée d’une photo d’un cratère de bombe de la Seconde Guerre mondiale à la frontière entre la Belgique et la France. Des décennies après la guerre, le trou s’est rempli d’eau et la végétation est venue s’épanouir autour de cette mare parfaitement circulaire.

J’ai fait une partie de mes études aux beaux-arts de Dunkerque et les vestiges de guerre dans la région m’ont beaucoup frappée. La violence latente de ces paysages étranges redevenus apaisés m’évoque les peintres romantiques du 19ième siècle. Le format d’icône invite à une méditation sur la violence, la guerre mais aussi sur la réparation, le pardon, le retour à l’harmonie, comme un cycle inéluctable de rédemption.

3. Sébastien (2023), huile sur bois, 18x14cm

C’est un recadrage d’une peinture célèbre de Rubens, que j’admire beaucoup. J’aime parfois m’inspirer directement et ouvertement de tableaux de maîtres. En cadrant l’image au niveau des hanches du martyr, j’ai voulu en exacerber la charge érotique. Les tableaux religieux anciens sont souvent très sensuels. Les martyrs sont parfois idéalisés, afin de produire une émotion plus intense chez le spectateur.

La légende de Saint Sébastien a traversé les siècles et est devenue aujourd’hui un symbole fort pour la communauté homosexuelle. J’ai de nombreux amis homosexuels, et j’aime peindre de beaux jeunes hommes car je me suis toujours sentie appartenir, pour je ne sais quelle raison, à leur communauté. J’ai beaucoup d’empathie a l’égard des hommes et des femmes qui ne peuvent vivre leur homosexualité pour des raisons de religion, de société, de tabous en tous genres. Dans certains pays, la peine de mort est encore appliquée pour ce qui est considéré là-bas comme une déviance sexuelle. Au travers de ce petit tableau, je voulais évoquer cette brutalité à l’égard de ces corps souvent jeunes et si beaux dont le destin est brisé.

* VOTRE PARCOURS

Petite, je rêvais d’être illustratrice scientifique ou bien pour livres d’enfants. Après le bac, j’ai tenté le concours de l’École d’arts appliqués Estienne mais je n’ai pas été reçue. Je vivais alors dans la région de Montpellier, dans le sud de la France, avec mon père et mes frères et j’avais une envie urgente de partir loin. J’ai pris une règle et j’ai mesuré la carte de France pour trouver la ville la plus lointaine. C’était Dunkerque. J’ai appelé la mairie pour savoir s’il y avait une école d’art. Ils m’ont dit que je tombais très bien car le concours d’entrée des beaux-arts était bientôt et que j’avais encore le temps de m’inscrire. C’est comme ça que je suis entrée aux beaux-arts de Dunkerque en 2000.

À cette époque l’enseignement était orienté vers des formes d’art très conceptuelles. La peinture et le dessin n’étaient pas à l’ordre du jour et je n’y ai jamais appris aucune technique particulière à part le montage vidéo et la photo. J’ai donc passé mon DNAP en présentant des installations et des photos afin d’obtenir mon diplôme. Je suis ensuite allée faire les 4ième et 5ième années à Marseille ou il y avait un atelier dédié à la peinture. C’est à ce moment que j’ai commencé à peindre tout en continuant à faire de la photo et des installations qui étaient davantage au goût du jour. Les professeurs étaient tout aussi conceptuels qu’à Dunkerque donc, encore une fois, je n’ai jamais eu d’enseignement technique. Je me contentais d’apprendre la technique comme je pouvais avec un vieux livre sur la peinture à l’huile. C’est là que j’ai découvert les recettes des techniques anciennes que j’ai expérimenté pendant deux ans.

On peut donc dire que je suis une peintre autodidacte. Peu avant mon diplôme de fin d’année, il y a eu un drame dans ma famille qui a probablement changé mon destin. Mon frère de deux ans mon aîné de qui j’étais très proche s’est pendu et j’ai sombré dans une dépression noire. J’ai malgré tout obtenu mon diplôme de DNSEP en pilotage automatique.

À ce moment, mon père a obtenu un poste de représentant scientifique à Bangkok. Il m’a invitée à passer quelques mois là-bas pour me changer les idées. Je suis arrivée dans cette mégalopole inconnue et exotique fin 2005. J’y ai finalement travaillé pendant 3 ans, sans reprendre mes pinceaux, comme chargée du département culturel à l’Alliance française. En arpentant la scène artistique locale, j’ai rencontré un groupe d’artistes thaïs passionnants dont mon mari, Haritorn Akarapat qui est sculpteur.

À l’issue de mon contrat à l’Alliance, j’ai décidé d’ouvrir une galerie d’art pour les exposer. C’était au début un tout petit espace underground mais qui s’est vite métamorphosé en un superbe centre d’art avec une résidence d’artiste, un café-concert, un atelier de gravure, et une galerie d’art très en vue. Pour la première fois, j’ai recommencé à peindre, de tout petits formats sur toile, en cachette, car je n’avais plus aucune confiance en moi.

Après un an j’avais accumulé une centaine de tableaux miniatures que je suis allée les présenter à un ami qui avait une petite galerie à Bangkok. C’est ainsi qu’en 2017, pour la première fois, j’ai pu montrer mes tableaux au grand public. Et le succès a été au rendez-vous!

En 2018, j’ai rouvert un centre d’art à Chiang Maï que j’ai géré pendant 2 ans. Ce n’est que lorsque le Covid a frappé que j’ai décidé de devenir peintre à plein temps. Depuis, je fais plusieurs expositions par an. J’ai acquis une vraie reconnaissance en tant que peintre. Un vrai rêve réalisé après de nombreux détours !

* VOUS ET LA THAÏLANDE

Comme décrit plus haut, je suis arrivée en Thaïlande par les aléas de la vie. Ce pays m’a tout de suite fascinée pour ses arts traditionnels si riches, en particulier les représentations du bouddhisme. En parallèle, j’ai rencontré des jeunes artistes qui avaient une vision très différente de la mienne et nous avons beaucoup échangé. Grâce au recul pris sur mon pays natal et sa culture ancestrale, j’ai pu m’en inspirer plus directement : la grande peinture religieuse occidentale, les grands mythes et comment ils avaient été représentés au fil des siècles. Progressivement j’ai aussi intégré à ma peinture des matériaux locaux comme les feuilles d’or et les bois anciens.

* VOS SOURCES D’INSPIRATION

Ma source d’inspiration première sont les autres artistes en général. Qu’ils soient peintres, réalisateurs de films, photographes, écrivains. Parmi ceux qui m’ont le plus touchée, je citerai Fra Angelico, Frida Kahlo, Jan Van Eyck, Les Nabis, Odilon Redon, mais aussi David Lynch ou Andrei Tarkovsky.

J’aime me plonger dans les mondes intérieurs des autres et en puiser une inspiration très personnelle. J’aime aussi percevoir des images très anodines comme de futures œuvres d’art : une photo mal cadrée dans un journal, une photo de vacances d’un ami sur Facebook ou Instagram, un magasin de lingerie en ligne… Les sources sont infinies à notre époque avec la venue d’internet.

L’actualité m’intéresse aussi beaucoup. Je récolte des milliers de photos sur le net que je classe par année, par thème, et parmi lesquelles je pioche pour de nouvelles peintures. Je photographie aussi moi-même énormément de modèles, des amis souvent, des paysages, des plantes, des insectes, que je classe aussi afin d’avoir un stock toujours vivant d’images dans lequel puiser. Je travaille toujours d’après photo.

* VOTRE TECHNIQUE

N’ayant jamais appris à peindre à l’école, j’ai eu la chance de développer une technique très particulière. La base de mes connaissances s’est faite avec le vieux livre de Xavier de Langlais La technique de la peinture à l’huile (2011) qui donne toutes les recettes des maîtres anciens. Après beaucoup d’expérimentations, j’ai adapté ces recettes pour parvenir au résultat que je cherchais. Ma technique évolue encore à chaque nouvelle peinture! Les possibilités sont infinies. Mais je suis toujours très attachée aux techniques anciennes.

Par exemple, pour Day Dream (voir plus haut) qui est peinte à l’huile et aux pigments argentés sur bois de teck, presque au format d’une icône, j’ai d’abord poncé et préparé le bois au gesso traditionnel, un mélange de colle de peau de lapin, de pigments dorés et de blanc de Meudon. Puis je l’ai peint avec beaucoup de transparence pour laisser apparaître les veines du bois et la sous-couche dorée de gesso.

* UN RÊVE

Je rêve d’exposer dans un lieu mystique, comme une vieille église ou bien dans un musée classique pour confronter mes peintures à des œuvres très anciennes. Ou bien encore faire les fresques d’un temple ou d’une église.

* LE RÔLE DE L’ART DANS LA VIE

Je pense que l’art est un canal puissant par lequel l’Homme peut atteindre et exprimer une intériorité qui dépasse les mots et le conscient.

https://www.myrtilletibayrenc.com

Rêve Méditerranéen (2024), Huile et feuille d’or sur bois, 150x80cm (3 panneaux)
« Rêve Méditerranéen » est un triptyque inspiré de l’art de la renaissance en particulier des représentations de la visitation d’un ange. « Il représente le même personnage 3 fois, ce qui m’évoque aussi les tableaux religieux dans lesquels on voit apparaître plusieurs fois le même personnage à des moments différents, comme pour raconter son histoire intérieure. Ma famille est originaire du Sud de la France et d’Algérie, ce paysage me rappelle mes racines si lointaines,
comme un rêve bleuté ».
Black Narcissus (2024), Huile et feuilles d’or sur bois, 100x80cm (2 panneaux)
« Il s’agit d’un double portrait en miroir d’un ami. La peinture est cadrée sur le torse et les mains du model, l’un tient un serpent d’or l’autre un plant d’anémones avec ses racines. J’aime utiliser des animaux et des plantes qui ont une forte charge symbolique. Je laisse au spectateur y voir ce qu’ils veulent. Pour moi ça évoque les désirs inconscients et incontrôlables ».
OLYMPUBem with Poppies. (2025) Huile et feuille d’or sur bois, 80×120 cm (pendant de Oat with Wild Roses)
«J’ai fait ce tableau dans le cadre d’une exposition de groupe d’artistes femmes, dont le thème était de revisiter le symbole de la fleur fragile attribué depuis longtemps à la femme. J’ai donc choisi de peindre une jeune femme aux allures puissantes entourée de pavots dans des tons rouges presque criards.»
Oat with Wild Roses (2025) Huile et feuille d’or sur bois, 80×120 cm (pendant de Bem with Poppies, voir plus bas)
Ce jeune homme à l’attitude réservée, entouré de roses sauvages aux tons plus doux contraste avec Bem with Poppies. «Les attributs de genre évoluent sans cesse dans l’histoire de l’humanité, indique Myrtille. Je ne pense pas que ce soit nouveau de s’interroger dessus à notre époque.»
Myrtille a exposé à la Diginner Gallery de Jiyugaoka (Tokyo) du 5 au 20 avril 2025. Ici, l’affiche avec The Pond (2025), huile sur bois de teck, 15x15cm
Day Dream (2025), huile sur bois, 40x25cm
 Sébastien (2023), huile sur bois, 18x14cm
Guilt (2025), huile sur bois, 15×12,5 cm
Sorrow (2025, huile sur bois, 12,5x15cm
Bomb (2025), huile sur bois, 12,5x14cm
Myrtille Tibayrenc dans son atelier à Chiang Maï (Thaïlande).
Myrtille en train de peindre Bem with Poppies.
Myrtille Tibayrenc