* VOTRE PREMIER CONTACT AVEC L’ART ET CE QUI FAIT QUE VOUS ÊTES DEVENU ARTISTE
Même si j’ai toujours autant de mal à me considérer comme un artiste, j’ai compris dès mon plus jeune âge que raconter des histoires en dessins était un métier fabuleux qui pouvait égayer la vie des gens, et que je voulais en faire le mien, avant même de savoir si j’en serais capable un jour.
Petit, je lisais beaucoup de bandes dessinées (franco-belges), et je ressentais un tel plaisir, presque physique, en parcourant ces planches, je m’évadais si loin à l’intérieur de ces cases, que ça me fascinait littéralement.
* VOTRE PARCOURS
À 19 ans, après une démoralisante première année universitaire en lettres modernes à Rouen, je suis monté à Paris pour étudier le dessin, l’histoire de l’art, bref, tout ce que je croyais indispensable pour embrasser la carrière de dessinateur de bande dessinée. Je suis entré à l’Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne pour étudier les arts plastiques. J’en suis sorti avec un DEA, sans être devenu meilleur dessinateur mais avec la conviction que ce milieu était fait pour moi, que je pouvais y apporter quelque chose.
* 3 OEUVRES
1- « Je me souviens » (2008)
C’est une planche que j’ai faite pour le magazine Asahi Weekly, dans le cadre d’une série d’histoires courtes en une page. Elle est de loin celle qui m’a valu le plus de retours des lecteurs. Elle a touché beaucoup de gens. Je crois avoir réussi à mettre en scène un sentiment que l’on exprime peu mais que chacun a au moins une fois ressenti.
2- « Le marché aux poissons Yanagibashi » (2008)
Cette histoire en une page, créée à l’origine pour le magazine Asahi Weekly, met en scène un petit marché aux poissons de la ville de Fukuoka. C’est ma rencontre avec ce poissonnier qui m’a révélé ce qui ensuite sous-tendra toutes mes histoires : un lieu ne vit que grâce aux gens qui y vivent ou qui y travaillent. Ils l’animent, le nourrissent, le colorent. Aussi beau soit-il, un quartier vidé de ses habitants est un quartier sans âme. Depuis, j’ai toujours mis l’humain au centre de mes histoires.
3- « Kyushu Comitia » (2019)
Ce dessin est une étape importante dans ma carrière. Il m’a été commandé par les organisateurs du festival de manga Kyushu Comitia à Kitakyūshū en 2019, pour illustrer le flyer et la couverture du programme. Par cette commande, ils me reconnaissaient officiellement comme un des leurs. Depuis je suis devenu membre de l’Association des mangakas du Japon (JCA). Ma plus grande fierté.
* VOTRE TECHNIQUE
Je dessine aujourd’hui encore comme j’ai appris : crayon, gomme, plume et encre de Chine noire sur feuille à dessin épaisse (d’une marque qu’on ne trouve qu’au magasin Itoya de Ginza). Je travaille d’abord mes personnages et mes décors à part sur des feuilles A4, sans me soucier ni de taille ni de composition pour avoir un trait plus libéré. C’est ensuite que j’assemble le tout, à l’aide d’une photocopieuse et d’une table lumineuse. Puis je scanne le dessin obtenu et je le mets en couleurs avec Photoshop. En France la plupart des dessinateurs de bande dessinée sont je crois passés au 100% numérique. Moi j’ai besoin de sentir la résistance du papier sous mon crayon. Le dessin, c’est d’abord un geste physique.
* VOUS ET LE JAPON
J’habite au Japon depuis 33 ans mais j’y suis arrivé à l’âge de 24 ans par hasard, sans en avoir la moindre connaissance. Le Japon n’a donc pas influencé ma formation. C’est la bande dessinée de mon enfance qui a nourri mon envie de dessiner et, depuis, je n’ai de cesse de creuser ce sillon. Aujourd’hui encore, je trouve plus pertinent de proposer un style, un angle que le spectateur japonais n’a pas l’habitude de voir, mais qui l’inciteront à se décaler légèrement et se questionner sur son environnement quotidien.
Sans compter que c’est ce qu’on attend de moi ici en tant qu’artiste français : un ton différent, un regard différent, un graphisme différent, des couleurs différentes, bref, quelque chose qu’on ne pourrait obtenir d’un illustrateur ou d’un auteur japonais.
* UN RÊVE FOU
Évidemment j’aimerais raconter, en bande dessinée et dans un long format, mon expérience de Français installé au Japon. Beaucoup d’autres l’ont déjà fait, mais en général après un séjour de seulement quelques mois. J’estime, après 33 années passées ici, être en mesure de proposer un point de vue original. Seulement voilà, c’est un projet de grande envergure qui exige que l’on s’y consacre à plein temps. Et ça…
* LE RÔLE DE L’ART
Il permet de décaler légèrement notre regard afin de mieux voir le monde.
Autrement dit, pour moi, la fonction première de l’art est de provoquer un étonnement afin de susciter une réflexion imprévue, ce qui conduit à modifier le regard.