* VOTRE PREMIER CONTACT AVEC L’ART
Mon grand-père, qui est décédé avant ma naissance, était un calligraphe passionné. Un de ses amis était un maître de calligraphie et ma mère m’a encouragée à devenir son élève. J’ai donc commencé la calligraphie à l’âge de six ans, juste avant d’entrer à l’école primaire.
* CE QUI FAIT QUE VOUS ÊTES DEVENUE ARTISTE
Après avoir obtenu mon diplôme de professeur de calligraphie à Bokka Shodo Kenkyu-Kai après 18 années d’études, j’ai quitté le monde traditionnel de la calligraphie. Et plus tard, je suis partie en France. C’est là que j’ai pris conscience que la calligraphie était un art à part entière parce qu’au Japon, elle consiste principalement à imiter les maîtres anciens. J’ai pen-sé que la calligraphie japonaise s’apparentait davantage à l’apprentissage d’un savoir-faire, comme celui d’un artisan. En France, j’ai trouvé la liberté de m’exprimer. C’est donc à partir de ce moment-là que j’ai décidé de faire des choses nouvelles qui rompaient avec la calligraphie traditionnelle de mon pays.
* 3 ŒUVRES
1. Shoji Hikari, 2021, encre, papier washi, bois de shoji, 810 x 850 mm
Cette série est réalisée avec des fenêtres coulissantes traditionnelles appelées » shoji » qui ont été récupérées dans de vieilles maisons japonaises en cours de démolition.
Je suis inspirée par les lignes parallèles et croisées des shoji, par le papier washi qui laisse filtrer la lumière et par le dialogue entre mes interventions au pinceau et les espaces remodelés des shoji. J’ai donc commencé à créer avec ce support. J’ai réalisé plusieurs séries qui ont constitué la majeure partie de mon travail depuis 2020.
2. Fuji bleu, 2021, encre, papier washi teinté bleu, panneau, 515 x 730 mm, diptyque
Le Mont Fuji est un motif intemporel pour moi. Cette œuvre intitulée « Fuji bleu » est réalisée à partir de deux panneaux de bois qui forment un seul tableau. Le papier japonais est teint en bleu, puis recouvert de plusieurs types d’encre de Chine pour donner de la pro-fondeur au noir.
3. Kuro, calligraphie révélée en hommage à Pierre Soulages, 2023, colle, sable noir, toile, 650 x 550 mm
Calligraphie révélée est une œuvre exécutée en performance » live « , peinte avec du sable encré et de la colle transparente. Conçue avec l’historien de l’art Matthieu Séguéla, elle a été présentée pour la première fois au Musée Soulages en 2018. L’inspiration de Calligraphie révélée est venue de la vision d’un mandala présenté à l’exposition FUKAMI à Paris lors de l’événement Japonisme 2018 en France cette année-là. Depuis, elle est devenue le point d’orgue de mes performances.
* VOTRE PARCOURS
Après une année d’études linguistiques en France, je suis retournée au Japon et j’ai créé mon école de calligraphie, L’Atelier Shodo, à Tokyo.
À partir de 2018, j’ai réalisé des performances artistiques dans diverses institutions : Musée Soulages, Musée Toulouse-Lautrec, Musée Guimet, Château de Versailles, Musée Matisse, Fondation Maeght etc. Depuis 2020, je suis en résidence d’artiste chaque été à Sète, faisant des allers-retours entre la France et le Japon. L’année prochaine, le projet triennal » Les 36 vues du Mont St Clair » s’achèvera.
* VOUS ET LA FRANCE
Au début, je pensais aller en Chine pour étudier la calligraphie mais, pour diverses raisons, j’ai changé d’avis et j’ai décidé d’étudier le français en France. Je m’intéressais à la littérature et au cinéma de ce pays. Je voulais entrer dans un monde différent de celui de la calligraphie mais sans faire une école d’art. J’ai étudié le français à Annecy et à Aix-en-Provence pen-dant un an et j’ai voyagé en Europe aussi. J’y ai rencontré beaucoup de gens et d’artistes qui m’ont inspirée.
Dès lors, tout en continuant à étudier le français, j’ai commencé à élargir mon champ créatif, de la calligraphie à la peinture figurative ou abstraite.
* VOS SOURCES D’INSPIRATION
Depuis mon enfance, je suis fascinée par la coexistence de l’Orient et de l’Occident, par exemple les tatamis et les canapés, les kimonos et les tasses à thé occidentales, les peintures occidentales dans les pièces japonaises, comme dans les films d’Ozu.
Je suis également attirée par le travail d’artistes tels que Lee Ufan, Anna-Eva Bergman, Tôkô Shinoda, Pierre Soulages que j’ai bien connu les six dernières années de sa vie, etc. Pour les calligraphes, plus qu’un nom en particulier, c’est le mouvement calligraphique d’avant-garde Bokubi (après 1945) qui m’a intéressée. Les artistes comme les calligraphes ont réalisé des œuvres empreintes d’une beauté intérieure et d’une force simple.
* VOTRE TECHNIQUE
Je travaille principalement avec du papier japonais, de l’encre et des pigments pour la pein-ture et la calligraphie. J’ai expérimenté récemment la sérigraphie et la lithographie. J’utilise aussi des pinceaux de ma fabrication faits de pin et de branches d’arbre et de bambou, dont je garde la confection secrète. L’oeuvre « Les arbres » a été réalisée avec mes propres pinceaux.
J’ai étudié les techniques traditionnelles assez longtemps mais je travaille aujourd’hui librement, sans être limitée par elles.
* UN RÊVE FOU
Mon rêve est d’installer mon atelier à Kita-Kamakura. Comme je pratique également la cérémonie du thé, j’aimerais un jour créer à côté de mon atelier une pièce réservée au Chashit-su ou dans le jardin, un pavillon de thé .
* LE RÔLE DE L’ART
Je pense que l’art est quelque chose qui doit toujours être présent, afin que nous ne nous habituions pas aux « bonnes réponses » exigées par les écoles et par la société.
Annonces d’expositions en 2025
– du 12 au 26 juin, à la galerie Nagai (Ginza, Tokyo), Yuka Matsui, Sainte-Victoire, le plein et le vide
– du 1er au 31 juillet au Musée de la mer (Sète, France), Yuka Matsui, Le mont Saint-Clair prend la mer
(dernier volet de la trilogie des Trente-six vues du mont Saint-Clair)