Elle peignait d’une touche alerte et dans des tons pastel d’un goût très 18e, des scènes de la vie familiale et bourgeoise à la ville ou à la campagne, des femmes élégantes dans leur intimité et des enfants dans la fleur de l’âge. On la disait elle-même lointaine descendante de Fragonard dont elle aimait le style enlevé, la fraîcheur des couleurs, la gaieté et l’optimisme d’une peinture qui célébrait avant tout la vie, la beauté, la sensualité et l’amour.
Berthe Morisot (1841-1895), première femme du groupe impressionniste et toute révolutionnaire qu’elle fût dans son art, ne reniait nullement cet héritage. Bien au contraire, et c’est cela qu’explique et démontre la délicieuse exposition du musée Marmottan intitulée « Berthe Morisot et l’art du XVIIIe siècle ».
Tout d’abord, la famille de Berthe était liée par sa mère aux Jacob-Desmalter, ébénistes depuis le 18e siècle. Ensuite, Berthe avait passé son enfance (et aussi sa vie d’adulte) dans des intérieurs raffinés emplis d’objets précieux – son père, Edmé Tiburce Morisot, avait été préfet dans plusieurs villes avant de déménager, sous le second empire, dans un hôtel particulier de Passy décoré par des Riesener. Enfin, ses goûts personnels la portaient vers Boucher, Watteau, Fragonard et aussi les plus célèbres portraitistes-pastellistes du 18e tels Maurice Quentin Delatour, Jean-Baptiste Perronneau ou Rosalba Carriera.
L’exposition met en lumière ce goût et cet héritage à travers 65 oeuvres provenant de musées français et étrangers ainsi que de collections particulières. Sont présentés tour à tour le cadre de vie de Berthe (les collections du musée Marmottan comptent d’ailleurs nombre de meubles et d’objets lui ayant appartenu), des oeuvres l’ayant inspirée ou qu’elle copia comme un détail de Vénus va demander ses armes à Vulcain de Boucher destiné à orner son salon-atelier, ainsi que des oeuvres importantes dans sa carrière (Femme à sa toilette, Au bal, Le Jardin à Bougival…).
Mais la section la plus captivante est celle qui montre l’édification de la légende autour de sa parenté avec Fragonard, partant d’une filiation simplement « spirituelle » dans les années 1880, puis faisant d’elle tantôt la « petite nièce de Fragonard » (Jacques-Émile Blanche, 1892), tantôt son « arrière-petite nièce » (Camille Mauclair, 1904), son « arrière-petite-fille » (Louis Vauxcelles, 1905) ou encore sa « cousine » (Monique Angoulvent, 1933) !… Les recherches poussées menées dans le cadre de cette exposition ont confirmé que si « ces familles ont été voisines et ont pu se côtoyer dans le cadre professionnel » absolument aucun lien de parenté n’existe.