Dans la France des années 1870-1880 en pleine floraison impressionniste avec ses scènes urbaines ou rurales moussant de lumière et de couleurs, un jeune artiste choisit non pas la couleur mais le noir, non pas la peinture mais le dessin, non pas l’expression de la réalité contemporaine mais celle des visions fantasmagoriques qui peuplaient son imagination fertile et son esprit pétri d’art, de littérature et de religion depuis son plus jeune âge.
Cet artiste, c’est Odilon Redon (1840-1916) que le Panasonic Shiodome Museum of Art met à l’honneur avec une exposition intitulée « Odilon Redon, rêve de lumière, ombre lumineuse », explorant l’inlassable quête de spiritualité de l’artiste, tout d’abord à l’aide du noir et blanc (fusain et lithographie principalement) puis, à partir des années 1890, avec la couleur (pastel et dans une moindre mesure huile) afin de donner corps à ses apparitions: figures religieuses ou mythologiques, fleurs, végétaux, créatures marines ou terrestres, le plus souvent imaginaires et enveloppées de nuées iridescentes aux tonalités tendres.
L’exposition retrace le parcours de Redon en 5 sections et près de 200 oeuvres, de ses débuts entre Bordeaux – sa ville natale – et Paris où il apprend sous la houlette de l’intransigeant académicien Gérôme, à sa mort en 1916 dans la capitale française, auréolé de gloire. Bordeaux joue un grand rôle dans le développement de sa sensibilité et de son art puisqu’il y apprend la gravure avec Rodolphe Bresdin (dont on peut admirer le « Bon Samaritain », véritable tour de force lithographique où les figures bibliques se fondent dans une végétation luxuriante peuplée d’animaux et de monstres). Il s’y lie aussi d’amitié avec le botaniste Armand Clavaud qui l’initie à la vie secrète de la nature grâce à son microscope dont les images du monde infinitésimal deviendront pour Redon autant de sources d’inspiration.
Dans les 1ère et 2e sections, on peut ainsi admirer ses oeuvres « noires » de jeunesse : fusains (« L’arbre », « L’arbre tordu », 1865, inspirés de Corot), eaux fortes (« Gué » 1865, « Bataille » 1865), séries de lithographies (« Dans le rêve » 1879 ; « À Edgar Poe » 1882 ; « Les Origines »1883, « Hommage à Goya », 1885 ; « La Nuit » 1886…). On y contemple également des illustrations d’oeuvres littéraires (Flaubert, Baudelaire, Montesquiou) réalisées dans des techniques variées mais toujours dans un style profondément original et autonome par rapport au texte qu’elles sont censées mettre en image.
Les 3e et 4e sections montrent les relations de Redon avec ses contemporains, peintres (les Nabis Vuillard, Denis, Sérusier, Bonnard…) et écrivains (Mallarmé, Huysmans), ainsi que l’avènement de la couleur dans son oeuvre comme pour ne plus voir la vie en noir? Redon s’est marié en 1880 et connaît désormais le succès, mais une série d’épreuves l’accablent : la mort d’Armand Clavaud, la perte du domaine familial de Peyrelebade auquel il était très attaché, la mort de son premier enfant Jean.
« Au fond, nous ne survivons que grâce à des matières nouvelles », disait Redon qui s’essaya aussi, en phase avec les principes de l’Art Nouveau, à la décoration, en réalisant panneaux muraux, tapisseries ou paravents pour les propriétés de ses mécènes et amis dont le baron Robert de Domecy, le peintre Gustave Fayet (abbaye de Fontfroide) ou le politicien Olivier Sainsère.
On ne peut clore ce compte-rendu sans mentionner, au tout début de l’exposition, un « Prologue » montrant l’engouement des Japonais pour l’oeuvre de Redon, avec la parution d’articles dans les revues littéraires dès 1912, suivie d’achats de ses oeuvres par des peintres japonais tant de yôga (peinture occidentale) que de nihonga (peinture japonaise). D’ailleurs, la plupart des oeuvres présentées à l’exposition proviennent du musée des beaux-arts de Gifu, dont la collection des oeuvres de l’artiste est de renommée internationale.
https://panasonic.co.jp/ew/museum/en/










