Bien en a pris au musée d’art contemporain de Tokyo de se porter acquéreur d’oeuvres de David Hockney pendant la bulle économique de la fin des années 80. Cela lui a permis de présenter une première exposition sur l’artiste en 1996, peu après son ouverture (« David Hockney : Prints 1954-1995 ») puis, jusqu’au 5 novembre de cette année, d’offrir aux Tokyoïtes sa première grande rétrospective au Japon depuis 27 ans, avec 120 de ses oeuvres parmi les quelque 150 en sa possession aujourd’hui.
L’exposition nous transporte ainsi à travers plus de 60 ans d’une carrière mouvementée et à contre-courant des modes de son époque. L’heure est-elle à l’expressionnisme abstrait venu d’Amérique ? Le très Britannique David Hockney se tourne lui résolument vers le dessin et la peinture figurative, réalisant portraits, natures mortes, paysages, piscines aux reflets turquoise, jets d’eau sur les pelouses bien vertes des banlieues cossues de Los Angeles où il a élu domicile dès 1964, attiré par le parfum de liberté et d’hédonisme qu’il y règne.
Sans craindre le scandale ou la prison, David se revendique homosexuel à 23 ans et le montre ouvertement dans ses toiles où figurent ses amants, sous la douche, nageant dans la piscine ou évoluant dans des décors aux couleurs acidulées si caractéristiques de son oeuvre. L’une d’elles (« Portrait of an Artist, Pool with 2 figures » (1971), malheureusement absente de l’exposition) se vendra 90,3 millions de dollars aux enchères de Christies à New York en 2018, faisant de David l’artiste vivant le plus coté du monde.
Car l’audace paie et l’encourage à continuer à ne faire chaque jour, comme il aime à le répéter, que ce qui lui plaît, explorant de nouveaux styles et surtout techniques de représentation, s’intéressant aussi bien à celles des maîtres anciens – il publiera à ce sujet un pavé de 300 pages fort remarqué des historiens de l’art, « Secret Knowledge – Rediscovering the lost techniques of the Old Masters » – qu’aux Polaroïd, photocopieur, imprimante ou fax dans les années 60 à 80, jusqu’aux derniers modèles de iPhone ou de iPad aujourd’hui !
Et il est passionnant de regarder se créer, s’effacer puis se reformer à l’envie sous nos yeux dans l’actuelle exposition, ses couchers de soleil vus d’une fenêtre, ses paysages ou ses natures mortes réalisés sur iPad, remakes contemporains de ce « Mystère Picasso » de Clouzot (1955) où l’on voyait l’inventeur du cubisme en train de peindre spontanément sur une plaque de verre…
Une salle de l’exposition montre d’ailleurs les oeuvres inspirées par le maître espagnol, notamment par sa magique « Guitare bleue » qui permet de « changer la réalité » quand on en joue…
Les dernières salles sont consacrées à de vastes paysages dont « The Arrival of Spring in Woldgate, East Yorkshire in 2011 (twenty eleven) », peint à l’huile et sur iPad (en tête d’affiche de l’exposition) ou bien « The Four Seasons, Woldgate Woods (Spring 2011, Summer 2010, Autumn 2010, Winter 2010) », ensemble de 36 vidéos montrées de manière synchronisée sur des écrans de 55 pouces.
Le passage des saisons, que « nos esprits trop encombrés nous ont fait perdre l’habitude de regarder », regrette David, occupe une place dominante dans son oeuvre depuis une dizaine d’années et c’est sur sa magistrale « One Year in Normandy », réalisé sur iPad pendant le confinement, que se clôt l’exposition : une fresque longue de 90 mètres, inspirée à la fois par la tapisserie de Bayeux et par le rouleau chinois, où il s’agit non pas de regarder le paysage depuis une fenêtre, comme le propose la peinture occidentale, mais de se promener à l’intérieur, au milieu des prairies, des pommeraies, des moulins à eau et des maisons à colombages, tout en respirant à plein poumons l’air du temps qui passe.
*exposition du MOT
https://www.mot-art-museum.jp/en/
*site de David Hockney
*interview de David Hockney pour l’exposition de Tokyo
https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=XjrXKN3iA0I…
*émission sur la vie de D. Hockney (d’après l’ouvrage de Catherine Cusset, « Vie de David Hockney », Gallimard, coll. Blanche, 2018)
https://www.radiofrance.fr/…/vie-de-david-hockney-3023862
*interview de David Hockney à propos de « A year in Normandy », exposé à l’Orangerie en 2021-22