« Je souhaite réaliser d’authentiques oeuvres de belles femmes qui soient la quintessence du Vrai, du Bien et du Beau. Mes peintures ne montrent pas seulement la beauté physique avec réalisme mais aussi mon idéal et mon aspiration en termes de beauté féminine, même si je respecte la réalité » écrivait Uemura Shoen (1875-1949) au soir d’une vie passée à peindre les « belles femmes » (« bijin ») sans mièvrerie ni trop de sensualité, mais avec élégance et délicatesse dans chacun de leurs actes quotidiens (la toilette, la coiffure, le travail manuel ou intellectuel), au fil des saisons ou dans la littérature chinoise et japonaise, notamment dans les pièces de Noh que Shoen affectionnait.
La rétrospective consacrée à cette célèbre artiste – la première à recevoir l’ordre du mérite culturel japonais, en 1948, un an avant sa mort – émerveille le visiteur avec une centaine d’oeuvres de Nihonga (peintures de style japonais) aux teintes et lignes subtiles où l’on voit des jeunes femmes de Kyoto savamment parées se protéger de leur ombrelle d’une pluie de pétales de fleurs de cerisier au printemps ; arrêter leur regard sur une luciole tandis qu’elles nouent délicatement une moustiquaire en été ; tenter de contempler la lune d’automne dans un ciel voilé, symbole de l’amant absent ; braver la neige en hiver, ombrelle fermement tenue dans une main enfouie dans la manche d’un kimono ondulant gracieusement au vent…
Une véritable féérie d’harmonies de lignes et de couleurs, une plongée dans le Japon d’une époque révolue, si tant est qu’il ait existé ailleurs que dans l’imagination de l’artiste qui exprimait avec des éléments du réel une beauté intérieure destinée à « purifier l’âme », selon ses propres termes.
Organisée en 5 parties, l’exposition présente une centaine d’oeuvres dont quelques dessins préparatoires, selon un parcours à la fois thématique et chronologique, évoquant les centres d’intérêt de Shoen mais aussi ses choix de vie à contre-courant des conventions de son époque.
Née à Kyoto le 23 avril 1875 (sept ans après la restauration de l’empereur Meiji) dans une famille de vendeurs de thé, Shoen perd son père 2 mois avant sa naissance et est élevée par une mère attentive et aimante qui, très tôt, encouragera ses dispositions pour le dessin et la peinture.
Dès l’âge de 13 ans, elle intègre l’école de peinture de la préfecture de Kyoto où elle étudie sous la direction de Suzuki Shonen (1948-1918, écoles Sesshu et Kano) lequel, impressionné par son talent, lui donnera son nom d’artiste en reprenant un kanji de son propre nom et l’autorisera avant l’heure à peindre la figure dans son atelier.
À 19 ans, elle devient l’élève de Kôno Barei (1844-1895), peintre de fleurs et oiseaux dans un style chinois plein de vivacité, puis, à la mort de ce dernier, de Takeuchi Seiho (1864-1942) connu pour ses subtiles peintures d’animaux aux effets de fourrure ouatés. La diversité des styles de Shoen est visible dans la cinquième et dernière partie de l’exposition.
Derrière une apparence fragile et un style raffiné, se cachait une femme d’un très fort tempérament et d’un rare courage. Dans la société pour le moins traditionnelle et machiste de Kyoto, Shoen fit front à toutes les critiques concernant son art et mena sa vie comme elle l’entendait, ne se mariant jamais mais donnant naissance à deux enfants, un fils, qui devint artiste sous le nom de Uemura Shoko, et une fille.
« L’art mène à l’Éveil », disait-elle. Nul doute qu’il l’aura soutenue dans l’adversité tout au long de sa vie et permis de devenir immortelle à travers ses oeuvres, pour le suprême enchantement de nos yeux.








