L’École des Artistes a lancé récemment une série d’articles consacrés aux artistes français ou francophones du Japon. Bonne lecture et… si, en tant qu’artiste, vous êtes concerné par cette rubrique, n’hésitez pas à nous contacter!
* VOTRE PREMIER CONTACT AVEC L’ART
Mon grand-père était un peintre du dimanche qui peignait des tableaux de style japonais. Il a peint tous les jours après avoir pris sa retraite. Il m’a donné ses pinceaux et ses peintures et j’ai peint à ses côtés dès l’âge de trois ans.
* CE QUI FAIT QUE VOUS ÊTES DEVENUE ARTISTE
Très tôt, j’ai voulu faire carrière dans l’art, mais en raison de l’opposition de mes parents, j’ai été obligée d’aller à l’université. J’ai travaillé pour une entreprise manufacturière, je me suis mariée et j’ai eu un enfant comme beaucoup d’autres femmes de mon époque. À la trentaine, j’ai quitté cette entreprise et j’ai travaillé comme essayiste et illustratrice indépendante pendant 20 ans.
Puis, je suis devenue mère et j’avais besoin de gagner de l’argent pour élever mon fils. Pendant cette période, j’ai donc travaillé beaucoup et publié une cinquantaine de livres.
Cependant, ma passion pour l’art est restée inchangée.
Lorsque mon fils a eu 20 ans et que j’ai eu fini de l’élever, j’ai décidé de poursuivre une carrière artistique.
* 3 OEUVRES
– « Là où le soleil brille », série « Voix de la terre », 2022.
– « Ne pleure pas devant ma tombe », série « Je souffle dans le ciel », 2023.
– Série « Pray for the world », 2020. Cette série comprend 48 figures bouddhiques rappelant les statues de Bouddha qui ont été érigées dans 48 villes du monde comme une forme de prière à l’époque du Covid-19. Dans mon oeuvre, les images de Bouddha ont la forme des villes où elles ont été érigées.
Les chiffres, en particulier, ont pour moi une grande signification. Les trois séries sont composées de 48 ou 49 pièces. Dans le bouddhisme, 48 est le nombre de jours dans le processus de pratique pour atteindre l’éveil (SATORI, 悟り), tandis que 49 est le nombre de jours du jugement final après la mort. Je les ai choisis parce que la création est avant tout, pour moi, une pratique spirituelle.
* VOTRE PARCOURS
J’ai choisi la gravure comme moyen d’expression. Contrairement à la peinture, la gravure est une technique dite indirecte. C’est-à-dire que je trouve intéressant que le cuivre puisse produire des résultats auxquels je ne m’attends pas.
Après trois ans d’apprentissage technique dans un atelier de gravure, j’ai commencé à créer mes propres œuvres en utilisant une méthode unique qui consiste à enterrer le cuivre dans la terre.
N’étant pas diplômée d’une école d’art, je n’avais pas de relations au Japon, mais j’avais des amies artistes en France et leur aide m’a permis d’effectuer plusieurs expositions et résidences d’artistes en France.
Pour mon premier grand projet, j’ai envoyé des plaques de cuivre à 49 artistes dans 13 pays du monde, en leur demandant de les enterrer dans un endroit familier et de les renvoyer un an plus tard. Ce projet a été exposé en France et à Tokyo sous le nom de « Voix de la terre ».
Je travaille actuellement sur plusieurs projets similaires au Japon.
* VOUS ET LA FRANCE
À l’âge de dix ans, j’ai reçu une carte postale de la Tour Eiffel de la part de mon oncle qui était à Paris pour affaires et qui disait : « J’écris cette carte postale au Café Fouquet sur les Champs-Elysées. Je vois l’Arc de Triomphe ».
Cet oncle m’a acheté des aquarelles en souvenir. La palette était bleu clair, c’étaient les plus belles couleurs de peinture que j’avais jamais vues. Elles me semblaient si différentes de celles qu’on utilise au Japon. Quelle beauté ! À partir de ce moment-là, la France est devenue un endroit spécial pour moi. Et mon intérêt pour l’art français a commencé.
* VOS SOURCES D’INSPIRATION
Ce qui m’inspire, c’est avant tout le passage du temps et ensuite les matériaux naturels. Je crois que le temps et l’histoire sont contenus dans le sol, le vent et la pluie, ainsi que dans l’air, et que les matériaux tels que le papier, le métal et l’argile, qui en sont issus, ont également une âme.
Je préfère organiser des projets artistiques et travailler avec la nature et les gens en plein air plutôt que d’exposer mes oeuvres.
En même temps, j’aime collaborer avec des artistes qui ont d’autres moyens d’expression.
* VOS TECHNIQUES
Mes moyens d’expression sont la gravure, le collage et l’illustration. Parfois, je pratique la céramique, la sculpture et la broderie.
Les plaques de cuivre que j’utilise principalement sont enfouies dans le sol pendant environ un an. Après les avoir exhumées du sol, je les imprime sur du papier japonais en utilisant des techniques de gravure mais je passe ensuite beaucoup de temps à retoucher, colorer, découper et coller. Je passe aussi du temps à entretenir mes outils et mes matériaux. On pourrait dire que je suis plutôt un artisan ! Mais ce temps est important pour moi.
* UN RÊVE FOU
Je travaille actuellement sur un projet à Hiroshima. J’ai demandé à des enfants d’enterrer des plaques de cuivre et de les utiliser pour créer un livre d’images sur leur vision de la guerre.
De cette manière, bien qu’à petite échelle, je souhaite poursuivre mon travail de communication sur les expériences et les événements bouleversants qui traversent notre vie.
En ce sens, je suis très heureuse que le prix Nobel de la paix ait été décerné à la Confédération japonaise des organisations de victimes de la bombe A et de la bombe H.
L’important est de continuer à communiquer. À travers l’art, je veux faire passer le message que, même si nous venons de pays et de races différents, nos racines sont les mêmes.
* LE RÔLE DE L’ART
Pour moi, l’art n’est pas l’expression de soi. L’art est un moyen de me relier au monde extérieur. L’art relie aussi les gens au monde extérieur.