« I have been to hell and back. And let me tell you, it was wonderful. » Le sous-titre de l’exposition (« Je suis allée en enfer et j’en suis revenue. Et laissez-moi vous dire que c’était merveilleux ») résonne comme une adresse au visiteur, à propos du voyage qu’il s’apprête à entreprendre dans la vie traumatique de Louise Bourgeois (1911-2010), dont la première exposition monographique organisée depuis 27 ans au Japon se tient actuellement au musée Mori de Tokyo.
C’est tout d’abord « Maman », l’araignée en bronze de 10 mètres de haut imaginée par l’artiste franco-américaine en 1999-2002 en hommage à sa mère tapissière, qui accueille le voyageur sur le parvis du Roppongi Hills (elle y est installée depuis 2003).
La « montée aux enfers » se poursuit jusqu’au 50e étage de la tour abritant le musée Mori où l’on découvre un parcours riche d’une centaine d’oeuvres – sculptures, installations, peintures, dessins, textiles, vidéos… – dont 80% sont montrées pour la première fois au Japon.
« Je suis mon oeuvre », déclarait Louise Bourgeois, et c’est ainsi qu’elle a cherché, tout au long de sa carrière qui s’étend des années 1930 jusqu’à sa mort en 2010, à l’âge de 98 ans, à exorciser les démons du passé à travers sa création.
Née à Paris en 1911 dans une famille de restaurateurs en tapisseries anciennes, elle subit d’abord l’absence de son père Louis parti à la guerre, puis, à son retour, d’insupportables tensions familiales dues au caractère « despotique et pervers » de ce dernier ainsi qu’à ses infidélités – il prendra pour maîtresse la gouvernante anglaise de ses enfants. Sa mère Joséphine ferme les yeux mais, souffrant d’un emphysème pulmonaire, meurt en 1932.
Louise, qui a alors 21 ans, se réfugie dans l’étude des mathématiques, puis dans celle de l’art, entrant aux Beaux-Arts et fréquentant diverses académies. 1938 marque un tournant puisqu’elle épouse l’historien de l’art américain Robert Goldwater qu’elle suivra aux États-Unis dont elle fait sa deuxième patrie, y passant le reste de ses jours.
Pourtant, la distance n’atténue en rien ses tourments que l’exposition retrace en trois sections. Intitulée « Do Not Abandon Me » (« Ne m’abandonne pas »), la première explore le thème de la maternité avec, par exemple, des figurines à 5 seins représentant les cinq membres de sa famille (elle, ses 2 soeurs et ses parents ou encore elle, son mari et leur trois fils), quelques dessins et peintures de « Femmes Maisons », ainsi que le traumatisme ressenti à la mort de sa mère. Tout, la famille et la vie, semble se rattacher à cette mère nourricière, exploitée, écartelée, malmenée.
La deuxième « I HaveBeen to Hell and Back » (« Je suis allée en enfer et j’en suis revenue ») est axée sur la figure honnie du père avec des installations suggérant l’enfermement (série « Cell », « Cellule ») et sa fameuse série « Destruction of the Father » (« Destruction du père ») des années 70 où l’on assiste, dans des lumières rougeoyantes, à de violentes scènes de crime (dans une salle à manger, les enfants d’un père tyrannique se sont rebellés, l’ont assassiné puis dévoré, ou encore un sphinx géant à deux seins se fait décapiter dans une cave remplie de phallus et de mamelles).
La troisième et dernière partie, « Repairs in the Sky » (« Réparations dans le Ciel »), couvre une période d’apaisement et de réconciliation à partir des années 1990, après trente années d’une psychanalyse consécutive à la grave dépression ayant suivi la mort de son père, en 1951. On y voit en particulier de touchantes oeuvres textiles provenant de vêtements et accessoires ayant appartenu à ses proches (« Ode à la Bièvre »(2007) ou « Eugénie Grandet » (2009)), pièces cousues, brodées, ornées et rapiécées, comme si l’artiste avait voulu par là retisser la toile déchirée de sa vie, telle une éternelle « Maman ».